Les mélodrames invisibles
Ce n'est pas en triomphant de la douleur et des souffrances que l'on goûte la victoire, mais en remportant les batailles cachées du coeur.
La nuit tombe, grise et froide sur les hautes terres d’Écosse. Les guerriers traumatisés sont assis dans la boue, soignent leurs blessures et veillent sur leurs camarades mourants. Sur le champ de bataille, ces hommes se sont battus courageusement pour la liberté, mais maintenant, ils sont maculés de sang et totalement épuisés. Pire encore, la trahison de leurs alliés a presque anéanti tout leur espoir de voir la justice triompher.
De tous les exploits héroïques et les discours émouvants représentés dans le film à grand déploiement, Cœur vaillant, sorti en salle en 1995, cette courte scène m’a toujours frappée comme étant le réel tournant de l’histoire, où la plus grande victoire est remportée. En apparence, dans ce paysage silencieux, on ne voit que la faiblesse et la défaite. Personne n’accuserait ces guerriers de capituler. C’est le contexte dans lequel chaque homme doit livrer le grand combat du cœur : abdiquer ou, comme ils en décident au bout du compte, combattre jusqu’à la fin.
Dans l’histoire de notre vie, nous voyons rarement nos moments d’héroïsme pour ce qu’ils sont vraiment. Nous avons tendance à nous concentrer tellement sur l’aspect extérieur de notre existence quotidienne que nous présumons que notre lutte intérieure est simplement symptomatique de ce que nous traversons chaque jour et qu’elle en est périphérique, plutôt que l’inverse. Nous gaspillons alors la douleur que nous subissons, soit en nous vautrant dans notre misère ou simplement en essayant d’en sortir. Mais si nous pouvions voir la douleur comme une occasion de grandir, comme un type de discipline spirituelle ayant un but ? Nous constaterions que la véritable histoire concerne toujours le cœur.
Il a fallu à Pierre des années de marche avec Jésus pour apprendre à voir au-delà de ce qui était apparent. Les épîtres qu’il a plus tard écrites montrent que sa conception de la souffrance à laquelle il avait déjà réagi en se servant d’une épée et en jurant (Jean 18:10; Mathieu 26:74) avait profondément été changée par le royaume invisible qu’il avait finalement adopté. Il a écrit : Ainsi donc, Christ ayant souffert dans la chair, vous aussi armez-vous de la même pensée. Car celui qui a souffert dans la chair en a fini avec le péché (1 Pierre 4:1). Ce que l’apôtre considérait auparavant comme un ennemi, il le voyait désormais comme l’atelier du forgeron où sont façonnées les vraies armes. Si cette métaphore nous semble bizarre, c’est parce que nous percevons l’affliction comme un obstacle plutôt que comme un don ou un outil qui peut nous transformer en ce que nous devrions être.
Cependant, Jésus nous appelle à penser et à vivre comme lui. Nous ne devrions jamais oublier que la bataille héroïque qu’il a gagnée sur la croix a débuté dans l’obscurité et la solitude du jardin de Gethsémané. C’est parce qu’il y a vaincu l’ennemi, en cédant sa volonté à son Père, qu’il a pu accepter sa souffrance extrême avec courage, puis prendre d’assaut les portes de l’enfer. Alors, si nous devons nous armer de l’attitude de Christ, cela ne veut-il pas dire qu’il y a quelque chose de glorieux à propos de nos luttes peu glorieuses et invisibles du cœur ? Que la liberté et la force nous attendent quand nous cédons notre volonté à Dieu et faisons face aux difficultés ? Considérez votre relation avec la douleur. Quand vous êtes au beau milieu de l’affliction, quelle est votre réaction naturelle ? Quand vous constatez que vos épreuves dévoilent des questions plus profondes et plus importantes, les fuyez-vous ? Ou lancez-vous à Dieu le même vieux refrain : Seigneur, pourquoi laisses-tu cela m’arriver ?
La dure, mais belle, vérité est qu’une foi commode et facile n’est pas ce que Dieu désire pour ses enfants; il veut tellement plus pour nous. Pierre a écrit : ne trouvez pas étrange d’être dans la fournaise de l’épreuve, comme s’il vous arrivait quelque chose d’extraordinaire (1 Pierre 4:12)..Nous devons nous attendre à cette bataille parce que la partie de notre histoire qui nous porte à penser que tout espoir est perdu finit par être l’élément même qui la rend bonne. C’est le paysage caché dans le contexte duquel nous avons l’occasion de devenir ce que nous devons être, même si nos meilleurs moments sont invisibles aux yeux des autres. Avancer tête baissée pour combattre nos pires craintes peut être la chose la plus douloureuse que nous soyons appelés à faire, mais cela en vaut toujours la peine à la fin.
C’est la beauté de la Bonne Nouvelle. Si nous laissons le Saint-Esprit agir, il nous donnera de nouveaux yeux pour voir comment la puissance créative de Dieu peut tout transformer, même notre douleur. Rien ne pourrait être plus étrange ou plus merveilleux, même si nous devons rassembler toute notre volonté pour nous pousser à aller de l’avant en rampant. C’est là que le tournant s’opère, que le paysage change encore. Lorsque nous refusons de nous décourager, nous franchissons le seuil du royaume invisible qui nous entoure et qui est en nous, où nous nous sentons soudainement chez nous, avec Dieu. Et c’est la victoire la plus réelle.
Erin Gieschen